Un mal étrange s'est emparé de moi, il y a bien longtemps. Je l'ai identifié comme un flux d'énergie "non identifié", dont je n'ai jamais su trop que faire avant l'âge de 35 ans environ. Tout ce que je sais, c'est que ce flux m'a joué de mauvais tours :
- A l'âge de six ans, il m'a conduit, seul et discrètement, vers l'antre d'un psychopathe en herbe, qui n'a rien trouvé de mieux que de tenter de m'étouffer, lors d'un prétendu jeu, avec un oreiller
- Plus tard, il m'empêcha de déclarer ma flamme à cette jeune femme qui me plaisait tant
- Encore plus tard, il m'empêcha de conduire pendant toute une année...
J'ai découvert un jour que ce flux d'énergie que je prenais à ce moment là carrément pour une maladie, s'appelait "émotions". Beaucoup d'entre nous s'interrogent...
Comment gérer ses émotions, ou encore comment faire en sorte de ne plus vivre que des états internes agréables. On le mérite bien non ?
L'émotion a ses adeptes et ses détracteurs. Une journaliste, Eugénie Bastié, vient de sortir un livre intitulé la "dictature des ressentis" qu'elle oppose à "la liberté de penser", qu'elle voudrait sauver. Elle va encore plus loin et déclare : "Chacun se replie sur son moi, sur sa tribu. Cette "dictature des ressentis', pour ne pas dire du ressentiment, fait prospérer l'idéologie woke : cette idée que seul ce que je ressens comme une souffrance ou une liberté doit compter. Il n'y a plus de vérité universelle et "ma' vérité ne saurait être remise en cause sans me "blesser'".
De tous temps, on a opposé raison et émotion, mais pourquoi ? Et comment faire pour ne pas tomber dans les pièges ? y-a-t-il des bonnes et des mauvaises émotions ? Je vous propose de tenter de trouver un éclairage à tout cela.
La conscience émotionnelle de Claude Steiner
Chaque personne a un rapport particulier avec ses émotions. Je peux vous parler de mon expérience personnelle. Jusqu'à l'âge de 22 ans, je pense que mes émotions étaient engourdies ou somatisées. Soit j'allais bien, soit j'étais malade. Puis, après des évènements un peu "traumatisants", les émotions sont devenues incontrôlables, je ne savais plus comment faire. Jusque là, j'avais toujours réussi à les endormir (stade de l'engourdissement). Mais cette fois je les ai perçues :
- D'abord comme des sensations physiques (stade de la somatisation) : je n'avais pas peur mais faisait de la tachycardie, je n'étais pas triste mais fatigué à prendre des vitamines
- Puis comme un niveau d'énergie élevé et incontrôlable, qui ne faisait qu'augmenter. Je me suis pensé vulnérable et hypersensible ne pouvant trouver aucune autre explication au phénomène.
Si vous êtes intéressé(e) par le titre de cet article, c'est sûrement que comme moi, la conscience émotionnelle n'est pas à son meilleur. Selon Steiner, en utilisant ses techniques d'alphabétisation émotionnelle, on parvient à évoluer sur les niveaux de conscience et atteindre le stade supérieur, l'empathie. L'empathique reconnait ses émotions, fait la différence entre les siennes et celle des autres, et choisit d'agir en fonction de la situation, et pas seulement du ressenti.
Selon l'auteur, pour évoluer, il conviendra d'apprendre à :
- Donner des signes de reconnaissance : c'est être capable d'exprimer à quelqu'un un sentiment positif ou négatif, en lui demandant la permission. Vous trouvez votre collègue de travail en beauté. L'idée serait de lui demander la permission "Accepterais-tu de recevoir un compliment ?", afin que la personne puisse choisir plutôt que "subir" votre signe de reconnaissance. Et si oui, passer à l'action.
- Demander des signes de reconnaissance, même si une petite voix dans votre tête vous dit que cela ne se fait pas, ou que ces signes devraient arriver "sans avoir besoin de demander" : Êtes-vous satisfait de mon travail ? M'apprécies-tu ?
- Accepter et refuser les signes de reconnaissance : imaginons que certains compliments vous pèsent pour une raison ou pour une autre. L'idée habituelle est, soit de ne rien dire pour ne pas blesser, soit d'être un peu trop agressif "t'es lourd". Peut-être serait-il intéressant de faire une déclaration fait/ressenti.
- Faire des déclarations fait/ressenti : "tu me dis que je suis belle chaque matin. Au début cela m'a fait plaisir mais aujourd'hui je me sens plutôt embarrassée et mal à l'aise. Serait-il possible que tu arrêtes ?"
- Parler de nos pressentiments : c'est sûrement rien et je me fais peut-être des idées mais y aurait-il un problème entre nous ?
- Présenter des excuses sincères, accepter ou refuser des excuses...
En réalisant régulièrement ces actions, ce que je fais encore aujourd'hui, j'ai en effet pu tester de nombreux ressentis allant de la gêne à la fierté, de la colère à la détermination. Et honnêtement, ça a
changé ma vie.
La transformation des émotions
On me parle souvent d'émotions positives et négatives. Pour être honnête, je ne sais pas ce que c'est. Oui d'accord j'ai compris, vous parlez d'émotions agréables à vivre (motivation, joie, enthousiasme), opposées à d'autres jugées désagréables comme la peur, la colère, la tristesse, le dégoût. Nous verrons dans la dernière partie de cet article que chaque émotion, même agréable, peut être positive ou négative.
Est-il possible de se débarrasser d'une émotion, d'un ressenti, de la souffrance ? Non je ne crois pas. Par ailleurs, essayer de le faire conduit inévitablement à leur renforcement. On peut aussi "empiler" des émotions positives sur des négatives pour tenter de les masquer, en utilisant par exemple des odeurs. L'aromachologie est l'étude de l'impact des huiles essentielles (en inhalation) sur nos ressentis. Les études sont nombreuses pour démontrer l'action de certaines huiles essentielles (bergamote, lavande, Ylang-Ylang, petit grain bigaradier) sur la sérotonine, la dopamine ou le GABA, et ainsi influencer notre humeur (source : "Physiologie et huiles essentielles"
de Arnaud Géa et Philippe Banel).
Nous avons dit que l'émotion est une énergie donc
elle a une intensité, une fréquence, une situation dans le corps, et elle peut être utilisée pour agir :
- La colère est une énergie qui nous porte à nous opposer, à réparer un tort
- La tristesse est une énergie qui nous porte à nous replier, la peur à fuir un danger, la joie à partager
Illustrons. Vous venez de recevoir un diplôme et êtes très content. Observons cette énergie, qu'avez-vous envie de faire lorsque vous êtes content ? Oui partager, prévenir vos amis, votre famille, échanger, vous ouvrir aux autres. Si vous ne trouvez personne pour partager votre joie ? gare à la tristesse !
Revenons aux émotions positives ou
négatives.
Une émotion est de l'énergie. Elle peut devenir négative lorsqu'elle est rejetée car elle va s'accumuler et finir par exploser. Il est parfois utile de "fluidifier" cette énergie et de la diriger. C'est ce que nous enseigne l'alphabétisation émotionnelle ci-dessus ou dans le même genre la Communication Non Violente de Rosenberg, ou encore l'intelligence émotionnelle de Goleman.
L'enjeu est de parvenir à fluidifier et canaliser son émotion avant qu'elle n'explose (panique, pétage de plomb) ou qu'elle n'implose (dépression). Bien sûr ce n'est pas toujours possible.
- La colère contenue dans la frustration, la blessure, l'humiliation peut être dirigée vers un objectif très important pour soi, transformée en détermination et en assertivité
- La peur elle, en motivation à trouver des partenaires de confiance, des co-équipiers
- La tristesse en lâcher prise et en acceptation
- ...
Pour cela, il conviendra de réfléchir à ses valeurs, à ses objectifs. C'est ce que nous propose la thérapie ACT, dans la "question du choix".
Les émotions et la question du choix
Mon auteur préféré du moment, Russ Harris, est un spécialiste de la thérapie ACT (thérapie d'acceptation et d'engagement). Je vous recommande vivement la lecture de "Le piège du bonheur", remarquable.
Nous ne sommes pas ici pour de la thérapie mais bien pour gérer efficacement ses émotions et avancer. Dans son livre "Passez à l'ACT", l'auteur nous délivre un outil important pour ce faire. Il l'a appelé "la question du choix". Je ne vais pas vous faire ici un résumé ou une synthèse de ce que l'auteur nous raconte mais vous exprimer quelques idées intéressantes que j'ai tirées de mon utilisation personnelle de cet outil.
D'abord, aujourd'hui, lorsque je me retrouve face à une situation avec un ressenti, un vécu que je perçois comme une douleur, une souffrance, ou quelque chose de malaisant, je me dis les choses suivantes :
- Le problème n'est pas tant dans l'émotion désagréable que je vis que dans mon refus de la vivre pleinement. Une vie intense passe par le vécu, l'expérience des émotions difficiles
- Le second problème réside dans le fait d'être happé par la souffrance et de ne vivre que par rapport à elle. J'ai donc un choix à faire :
- je peux me laisser "accrocher" par l'émotion, les pensées qui l'accompagnent et avoir un comportement qui m'éloigne du vécu de cette souffrance. Par exemple, je veux créer une entreprise et j'ai très peur. Je me vois en train de couler, finir dans les difficultés financières (pensées) et je fais de la relaxation (comportement). La peur passe. OK mais si je recommence encore et encore, je deviens "accro" à cette peur et à la relaxation. Et je n'avance pas. Je reste focalisé sur cette peur et elle devient le centre de mon attention. J'y suis "accro".
- Je peux me "décrocher" en allant vers ce qui est important pour moi. Est-ce si important de créer mon entreprise, et en quoi ? Est-ce que ça me rapproche de la personne que je veux vraiment être ici et maintenant ? Si c'est non, je choisis en conscience de ne pas me faire du mal pour rien. Si c'est oui, alors je m'engage dans la voie de mes valeurs et j'accepte de vivre la peur. Je le fais sans "exagérer" ou militer pour l'entrepreneuriat, et je le fais sans exagérer les risques. je le fais simplement, dans la nuance et la relativité. Je peux aussi le faire à mon rythme, étapes par étapes, l'important étant de se rapprocher de la personne de qui on sera fier
Il y a beaucoup à dire sur le sujet et j'espère vous avoir donné des pistes pour une bonne gestion de vos émotions !
Les détracteurs des émotions ont-ils raison ? Oui et non.
Une émotion est simplement une énergie produite par le cerveau pour faciliter un passage à l'action. Nous gardons le choix de nos comportements, qui ne doivent pas être dictées par nos émotions, mais pas le respect de nos valeurs. Enfin c'est ce que je pense. Et vous ?
